Note sur l’architecture de la tour blanche

English

Note on the white tower’s architecture

by Fabien Bellat

The Uralmash district of Yekaterinburg is one of the gigantic inheritances of the heavy industrial Planning of the Stalinist era. More than a mechanical engineering factory, it is a whole little city that emerges ex nihilo in the thirties, with its spacious avenues, its smart accommodations, its working-class club, its cinema, its schools … The global urban tracery converges on the factory, and just before it, there is a gently sloping path towards a hill, which is crowned by a water tower called by the inhabitants the White Tower. Not only is it working as a signal marking a summit, this tower is also used as a ultimate place to link the Donbas streets to the Commissars of Baku – that way, the tram network of these axis seemed watched over by a lookout. All in all, its position was thoroughly studied in order to build an urban harmony connecting each element of Uralmash.
Besides, the White Tower belongs to a small Soviet family of water towers of a modern line. Since before the Revolution, Vladimir Choukhov the engineer had innovated standardized metallic tanks with a hyperboloid line. Shortly after, eager to pursue the experimentation this time with reinforced concrete, the Soviet constructivists designed a few tanks with minimalistic and geometrical shape, such as the aerodynamic water tower designed in 1926 by the German Eric Mendelsohn and the Soviet Iakov Tchernikov in Leningrad’s Red Flag textile factory. In 1929, Tchernikov built for the cable factory in the same city a similar monument, with a tank perched on daring concrete piles. Upon completion in 1931, the White Tower in Yekaterinburg is a clear answer to its cousins in Leningrad. Here also, the pillars are reduced to a bare minimum; here again, the tank is lined like a crown. However, the White Tower stands out for its huge superior levels designed to house a closed rotunda, which can be used to watch over the site. This floor, which is lit by a continuous glass molding like an up-to-date round path, along with the top terraces designed like an ultimate redoubt-gallery, help to bring out the feudal metaphor. This is no longer a simple water tower: it is also some sort of bastion of triumphant Socialism.
This building demonstrates the quality of its architect, Moïse Reicher (1902–1980). Educated in the revolutionary spirit, Reicher began as an assistant on construction sites in Moscow and Leningrad, before coming back to his native city in order to better diffuse the militancy of the communist party and the innovating spirit of constructivism. For him, however modest an industrial building may be, it should be rationally designed as much as it should contribute to the esthetic improvement of the environment. The smart work on the proportions, the play between flat and empty surfaces, the placing of the oculus, the accent on the horizontal continuum of the molding window running on the tower’s cylinder — all that shows a standout work of art, raising the technical equipment to the rank of architectural sculpture. Here, Reicher transformed a simple water tower into a monument of the new Soviet society.
However, at Yekaterinburg, the White Tower was – along with the Chekists Village – one of the last works of art of constructivist modernism. For the shift of the thirties towards neo-academism changed the architectural practice. Uralmash’s district is evidence of this evolution: minimalistic constructivist buildings with elegant neo-classicist Stalinist buildings curiously side by side. In this almost stylistically binary landscape, the White Tower appears all the more as a solitary lookout recalling a bygone age: the belief in functionalism as a tool for social progress. As for Reicher, he later built – in 1954 – another remarkable tower: the Soviet of Yekaterinburg – this time, according to the triumphant shapes of the Stalinist baroque. It was no longer time to assert a new world, but to glorify the Soviet power.

Francais

Note sur l’architecture de la tour blanche

par Fabien Bellat
Le District Ouralmash d’Ekaterinbourg est l’un des héritages dantesques de la Planification industrielle lourde de l’ère stalinienne. Plus qu’une usine de constructions mécaniques, c’est un morceau entier de ville qui surgit ex nihilo dans les années 1930, avec ses avenues spacieuses, ses logements élégants, son club ouvrier, son cinéma, ses écoles … Le tracé urbain global converge vers l’usine, précédée d’une allée en pente douce vers une colline, couronnée par un château d’eau, que les habitants ont surnommé la Tour blanche. Non contente de fonctionner comme signal marquant un sommet, cette tour sert aussi de point d’orgue à la liaison des rues Donbass et des Commissaires de Bakou – ainsi les tramways de ces axes semblent surveillés par une vigie. En somme sa position fut étudiée avec soin pour construire une harmonie urbaine liant chaque élément d’Ouralmash.
Par ailleurs la Tour blanche appartient à une petite famille soviétique de châteaux d’eau d’expression moderne. Dès avant la Révolution, l’ingénieur Vladimir Choukhov avait innové avec ses réservoirs métalliques standardisés, au dessin en hyperboloïdes. Peu après, désireux de poursuivre l’expérimentation cette fois avec le béton armé, les constructivistes soviétiques signèrent quelques réservoirs aux formes dépouillées et géométriques. Ainsi de l’aérodynamique château d’eau signé en 926 par l’allemand Erich Mendelsohn et le soviétique Iakov Tchernikov dans l’usine textile Drapeau Rouge à Leningrad. Tchernikov bâtit en 1929 dans la même ville pour l’usine de câbles un monument similaire, au réservoir perché sur d’audacieuses piles en béton. A Ekaterinbourg, lors de son achèvement en 1931, la Tour Blanche répondait clairement à ses cousines de Leningrad. Ici aussi les piliers sont réduits au strict nécessaire, ici également le réservoir est souligné comme un couronnement. Pourtant, la Tour blanche se distingue par l’importance de ses niveaux supérieurs, conçus pour abriter une rotonde fermée, pouvant servir à un usage de surveillance sur le site. Avec cet étage, éclairé par un bandeau vitré ininterrompu faisant songer à une sorte de chemin de ronde actualisé, et avec les terrasses sommitales conçues comme une ultime galerie-redoute, la métaphore castrale devient bien sensible. Le château d’eau n’abrite plus seulement du liquide, il est aussi une forme de bastion du socialisme conquérant.
Ce bâtiment témoigne de la qualité de son architecte, Moïse Reicher (1902–1980). Formé dans l’esprit révolutionnaire, ayant débuté comme assistant sur des chantiers à Moscou et Leningrad, Reicher revint dans sa ville natale pour mieux y diffuser le militantisme du Parti et l’esprit innovateur du constructivisme. Pour lui la plus modeste des constructions industrielles devait être étudiée tant de manière rationnelle que contribuer à l’amélioration esthétique de l’environnement. Le travail élégant sur les proportions, le jeu entre surfaces planes et vides, le placement des oculus, l’accent sur l’horizontale continue de la fenêtre bandeau courant sur le cylindre de la tour – tout cela fait état d’une oeuvre d’exception, haussant l’équipement technique au rang de sculpture architecturale. Là Reicher transforma un simple château d’eau en monument de la nouvelle société soviétique.
Toutefois, à Ekaterinbourg, la Tour blanche fut avec le Village des tchékistes l’une des dernières oeuvres de la modernité constructiviste. Car le virage des années 1930 vers le néo-académisme transforma la pratique architecturale. Le district Ouralmash témoigne de cette évolution, édifices constructivistes dépouillés y cohabitant curieusement avec bâtiments staliniens au néo-classicisme distingué. Dans ce paysage presque stylistiquement binaire, la Tour blanche apparaît plus encore comme une vigie solitaire rappelant une époque révolue, celle de la croyance au fonctionnalisme comme outil de progrès social. Quant à Reicher, il construisit plus tard, en 1954, une autre tour hors du commun, celle du Soviet d’Ekaterinbourg – cette fois selon les formes triomphales du baroque stalinien. L’heure n’était plus à l’affirmation d’un monde nouveau, mais à l’exaltation de la puissance soviétique.