English

Blues

by Silke Handelmann

In his installation French artist Matthieu Martin makes an old sailboat meet a discarded lamp post. These two more or less commonplace objects appear primarily in public spaces, but there they can never be seen in such close proximity. Despite what seems to be a grotesque combination of water and land Martin creates a poetic image. In the middle of an artificial body of water in Cuxhaven’s city center, in the Schleusenprielbecken, the unmanned art piece rocks gently in the ripples. The lamp post which has been installed instead of the mast conforms to the rhythm of the city‘s lights. Thus, on first sight and despite its exposed position, the installation blends quietly into the cityscape.
This poetic, esthetic image is intensified by to the name that the boat‘s former owner gave it 25 years ago: “Blues“. As is commonly known, this term designating a musical form dates back to the English expression “I’ve got the blues” or “I feel blue”, which means “I am sad”. Moreover, an acoustic stimulus expands the image. It is triggered by the lamp’s cable inside of the mast whenever the boat moves. The sound can be heard sometimes more, sometimes less clearly.
When creating his art pieces, Matthieu Martin is driven by an interest in public spaces and their organization and design. The latter does not necessarily have to be apparent. By definition, public spaces are open to the public. Nevertheless, there are power relations that affect and organize these spaces and can be described as “invisible design” (Lucius Burckhardt). Burckhardt defines this term as “human accomplishments that do not transform matter, but still influence our lives and shape our environment decisively”1, just like the light cast by a lamp post, that changed people’s habits considerably. Martin wants to display these power relations intrinsic to public spaces by way of his art pieces, which sometimes only consist of small gestures or minimal changes. On closer inspection, the quiet and poetic side becomes gradually louder and perceptible. As is typical of many of Martin’s pieces, “Blues” contains a funny twist. This is not only generated by the composition of the materials alone, but also by the location he chose to display his piece.

With its small size and shallow depth the Schleusenprielbecken is only attractive to toy boats and ducks. In a way, the artist carried the sailboat and the lamp post to foreign territory, which makes a mockery of the function assigned to these objects. Without its mast and sail the sailboat lacks the necessary space that also signifies freedom. And now the lamp no longer serves to light the street, it no longer serves the people who walk and drive there, but it casts its light onto the boat at night, while everything around it stays dark.
The installation in the public space of Cuxhaven becomes an object on display that puzzles onlookers, just as it would in an art exhibition or in a museum.
The distance between the onlooker and the installation intensifies this effect: because of the water the object can only be approached with difficulty. The onlooker stays in the dark. The installation becomes an exhibition piece and thus creates a space which encourages contemplation.
The art piece “Blues” was created as part of an exhibition called “Abschiede – Les Adieux”, which belongs to the exhibition sequences “Vier Bücher” presented by the Cuxhaven Art Association in 2014, and which takes Cuxhaven’s history of immigration as a starting point. For many people Cuxhaven was the last stop in Europe after which they undertook the long and arduous trip by ship to America.
Martin was accompanied by thoughts about mobility and immigration when he made the drawings and sketches that formed the basis for the art piece he created later. The artist plays with the cityscape in an ironic manner, prompts questions about mobility and urban planning and in exhibiting this piece tries to find a symbol for present-day Cuxhaven.

1.http://www.spiegel.de/spiegel/spiegelspecial/d‑7441026.html

Francais

Blues

par Silke Handelmann

Un vieux voilier et un lampadaire laissé à l’abandon se croisent dans l’installation de l’artiste français Matthieu Martin. Deux choses faisant plus ou moins partie du quotidien que l’on retrouve principalement dans des espaces ouverts, mais jamais en lien l’un avec l’autre. Cette connexion inattendue entre l’eau et la terre créer une image poétique. Au milieu d’une percée d’eau dans le centre ville de Cuxhaven, le bassin du Schleusenpriel, le travail artistique est bercé, sans âme qui vive, par la houle d’une eau peu profonde. Le lampadaire, installé en lieu et place du mât sur le voilier, fonctionne au rythme de l’éclairage public de la ville. Malgré son emplacement bien visible, l’installation s’intègre au premier coup d’œil au paysage urbain.
Cette image à la fois poétique et esthétique est renforcée par le nom donné au bateau il y a plus de 25 ans par son ancien propriétaire : « Blues ». L’appellation, faisant écho au style de musique bien connu, rappelle les expressions anglaises « I’ve got the blues », ou « I feel blue », que l’on pourrait traduire par « Je suis triste ». À travers ce nom, l’image se prolonge en stimulus acoustique qui résonne de façon plus ou moins audible sur le bateau à travers le mouvement du câble électrique à l’intérieur du mât.
Le travail artistique de Matthieu Martin est guidé par son intérêt pour les espaces ouverts, ou plutôt pour leur organisation et leur aménagement qui ne doit pas forcément être visible. Par définition, un espace ouvert donne lieu à une ouverture totale. Pourtant des rapports de force prédominent, qui déterminent cet espace, l’organisent et que l’on pourrait qualifier de « Design invisible » (Lucius Burckhardt). À travers le message de Burckhardt, « ces agissements humains, qui ne transforment aucun matériau, agissent pourtant de manière décisive dans notre vie et construisent notre environnement »1, comme la lumière d’un lampadaire, qui a changé de façon déterminante les habitudes des hommes.
Ici, dans cet espace ouvert, Martin veut rendre visible les rapports de force inscrits dans son travail qui consiste parfois simplement en petits gestes ou en changements à peine perceptibles. À y regarder de plus près, le discret et le poétique deviennent peu à peu plus forts et plus explicites. Comme à travers d’autres œuvres, Martin dévoile avec « Blues » une façon de voir particulière, exprimée non seulement à travers l’assortiment des matériaux, mais aussi par le choix de l’espace où il donne à voir son travail.

Le bassin d’écluse de Schleusenpriel n’a d’intérêt, en raison de sa taille et de sa profondeur, que pour les bateaux miniatures et les canards. Le voilier et le lampadaire sont en quelque sorte expédiés en terrain inconnu, où leur fonction attribuée témoigne de leur absurdité. Sans mât et sans voile, il manque aussi au voilier l’emplacement nécessaire à sa liberté. Et la lanterne sert moins à éclairer la rue et les hommes y marchant ou y navigant qu’à arroser de ses feux le bateau plongé dans la nuit, pendant que le reste tout autour demeure dans l’obscurité.
Au même titre qu’une exposition dans un musée ou une galerie, l’installation dans l’espace ouvert de Cuxhaven devient un objet exposé qui intrigue le spectateur.
Cette situation est soulignée par la mise à distance entre les spectateurs et l’installation : un rapprochement au premier sens du terme est, à cause de l’eau, difficilement possible. Celui qui observe reste dans l’obscurité. L’installation devient un modèle d’exposition et laisse de cette façon libre cours à la réflexion.
L’œuvre « Blues » rentre dans le cadre de l’exposition « Abschiede — Les Adieux », qui fait partie des séquences d’exposition « Vier Bücher » de l’association d’art de Cuxhaven et qui prend comme point de départ l’histoire des émigrants de Cuxhaven. Cuxhaven a été pour beaucoup d’hommes la dernière étape européenne avant de s’embarquer pour un long et douloureux périple en direction de l’Amérique. L’exposition est accompagnée de réflexions sur le sujet de la mobilité et de l’immigration, illustrées de dessins et de croquis à partir desquels Martin a construit son travail. L’artiste détourne avec ironie le paysage urbain, soulève des questions autour de la mobilité et de l’urbanisme, et cherche à travers son travail un symbole pour le Cuxhaven d’aujourd’hui.

1.http://www.spiegel.de/spiegel/spiegelspecial/d‑7441026.html