Fragments d’un constructivisme

English

Fragments d’un constructivisme

by David Liaudet

The Störk Gallery in Rouen is one of these few contemporary art spaces which have a great vibrancy. This very small place is permanently redesigned by exhibitions which are usually of high quality and sometimes quite mysterious. I visited the last exhibition, dedicated to a young artist from Les Beaux Arts of Caen, which title “Fragments” seems just right. Matthieu Martin shows a taste for the blacking out of urban graffiti, a mise en abîme of painting, a well-defined game between the respect of abstract painting history and a delicate humour. On graffiti magazines, he obscures the paintings with black and grey tint areas; on the streets, he tries his hands at restoring one of his paintings, as restorers do with ancient paintings. We wonder if he admires the abstract painting released from its traditional mediums, or if he questions the work of graffiti artists who seem to have forgotten too soon the history of abstraction. For Matthieu Martin is a painter. A painter who, somehow, finds his paintings, saves them, exposes them and turns them from one culture to another: then it is a matter of transport. And what about architecture? We saw here on this blog a certain number of artists who try, often with talent, to deal with architectural problematics, questioning the position of architecture in contemporary art, either with a deep admiration or through social criticism. But here, Matthieu Martin comes up with a fairly new type of intervention: the restoration. Invited to the Biennial of Contemporary Art in Iekaterinbourg, he proposed a quite amazing project: restoring the dignity of the White Tower, a constructivist piece of art built in 1929 by the Russian Architect Mosie Reicher. Cleared from its wild ads and freshly white painted to cover the graffiti, the superb White Tower gets back this way to the purity of a modernist architectural object of an astonishing beauty. What an idea! What a challenge! To convert the act of restoring a building into an autonomous artistic act is a very uncommon particularity. We could only draw a parallel with the sand-digging Bunker action of Cyprien Gaillard. But Matthieu Martin, as for him, acts on an in-situ object and seems through his act to have carried the responsibility to make the local authorities and the amateur architects take over and think this act as necessary for their town’s history. So it is a covering act that discloses… And the work title of Matthieu Martin perfectly says that: Refreshing the Revolution. I can’t tell if the act of repainting is as powerful an act as a revolution, I don’t know if refreshing this revolution is just what needs to be done in the shambolic capitalist mess of an old Soviet territory, but what I know is that, in Ekaterinburg, one artist came and over a single Biennial, he offered the city the opportunity to question anew its architectural and artistic heritage. And this no doubt is art, and this no doubt is politics.

Francais

Fragments d’un constructivisme

par David Liaudet

La Galerie Störk à Rouen est l’un de ces rares espaces d’art contemporain d’une grande vitalité. Ce tout petit lieu se voit en permanence renouvelé par la présence d’expositions très souvent de grande qualité et parfois très mystérieuses. Je visite la dernière exposition qui est consacrée à un jeune artiste venant des Beaux-Arts de Caen, exposition dont le titre “Fragments” est assez juste. Matthieu Martin y montre un goût pour le caviardage des graffitis urbains, une mise en abîme de la peinture, un jeu bien cerné entre respect d’une histoire de la peinture abstraite et un humour délicat. Sur des revues de graffitis, il occulte les peintures d’aplats gris ou noir, dans la rue, il joue à la restauration de l’une de ces peintures comme on le voit faire des restaurateurs de peintures anciennes. On hésite entre une admiration pour la peinture abstraite libérée des supports traditionnels et une remise en question du geste des graffeurs qui auraient trop vite oublier l’histoire de l’abstraction. Car, Matthieu Martin est un peintre. Un peintre qui, en quelque sorte trouve ses peintures, les sauve, les donne à voir et les fait basculer d’une culture vers une autre : c’est d’un transport qu’il s’agit. Mais pour ce qui est de l’architecture ? Nous avons vu ici sur ce blog de nombreux artistes qui tentent souvent avec talent de faire entrer les problématiques de l’architecture, de son image dans l’art contemporain allant d’une admiration profonde à une critique sociale. Mais ici, Matthieu Martin invente un genre d’intervention assez inédite : la restauration. Invité à la Biennale d’Art Contemporain de Ekaterinburg, il propose comme projet une chose assez incroyable, redonner la dignité à la Tour Blanche, oeuvre constructiviste construite dans cette ville par l’architecte russe Mosie Reicher en 1929. Débarrassée de ces publicités sauvages, repeinte en blanc pour en effacer les graffitis, la Tour Blanche, objet superbe retrouve ainsi sa pureté d’objet architectural moderniste d’une beauté époustouflante. Quelle idée ! Quelle ambition ! Faire du geste de remise en état d’un bâtiment un geste artistique autonome est une particularité bien peu commune. On pourrait seulement le rapprocher de l’acte de désensablage du Bunker par Cyprien Gaillard. Mais Mathieu Martin agit lui sur un objet présent dans l’espace et semble par son geste avoir eu comme responsabilité celui de voir enfin les autorités locales et les amateurs d’architecture prendre le relais et penser cet acte comme nécessaire à l’histoire de leur ville. C’est donc un acte de recouvrement qui révèle… Et le titre du travail de Matthieu Martin dit parfaitement cela : Refreshing the Revolution. Alors, je ne sais pas si l’acte de repeindre est un acte aussi puissant qu’une révolution, je ne sais pas si rafraîchir cette révolution est seulement ce qui doit être accompli dans le bazar libéré d’un capitalisme désordonné d’une ancien territoire soviétique, mais je sais qu’à Ekaterinburg, un artiste est venu et que le temps d’une Biennale, il a offert à la ville l’occasion de s’interroger à nouveau sur son héritage architectural et artistique. Et cela, sans aucun doute est art, et cela sans aucun doute est de la Politique.