Mobilités

English

Mobility

by Jean-Max Colard

It could be said of Matthieu Martin, with a hint of irony, that he is a street artist, which is in fact what is said about a lot of 20th century artists … especially as it is in the public area that this young artist finds his inspiration and the issues to be tackled for his work, like the giant rock mounted on three casters (Povera Mobility, 2009). The rock, which is placed to prevent unauthorized parking by some town councils, becomes mobile here: the critical reinterpretation of this urban practice results in an object which is not devoid of poetry.

As further proof, the two works presented by Matthieu Martin (…) deal with urban tags. First of all, a video filmed at night, in an improvised style, about a gesture: the artist asked an art restorer to perform an “abrasion” (the technical term used) of an urban graffiti on the metal shutters of a shop. This vulgar tag, which had no particular quality, like a lot of urban writing which covers walls, had been painted over with grey paint by the shop owner. The tag surfaced again, suddenly ennobled by the gesture of an archaeologist, or more exactly a painting restorer. She managed to help the graffiti re-emerge by scraping the grey paint layer with a solvent. Being anti-authority and anti-dissimulation of uncivil urban culture is a tribute to vandalism.

Instead of focusing only on the defence of graffiti, Matthieu Martin presents a second work which is a lot more ambivalent: a series of magazines devoted to graffiti had their double page illustrations “covered up” with solid areas of grey paint, in the same way that authorities, town councils and others tend to wipe out urban tags. He used the tints of grey available among graffiti artists’ spray paints. This monochrome intervention is a visual break from the multicolour, expressive overflowing of urban graffiti. After having done graffiti as a teenager, Matthieu Martin returns to the subject in a more conceptual way, in the manner of Raphaël Zarka or Cyprien Gaillard. There is also a notion of toying with graffiti codes: this usually tough and protesting universe is the object of playful interpretations, fictitious “covering ups” or savage restorations. What one must remember is this aesthetic interplay.
In the same spirit, but with a completely different theme, i.e. art location interiors, Matthieu Martin sometimes rolled out a line of sticky tape on the floor of an exhibition area, like the tape used in museums for some fragile or valuable paintings to keep the public at a distance. Except here the line does not protect anything, just an empty space in the art centre, highlighting this principle of precaution. “This line actually works very well, the public pays attention to it, and some people even pull back those who want to cross the line” says the artist, “which says a lot about how we are mentally obedient to these disciplinary signs”. This is why there is a need to play with the things which condition us, highlighting some of the irony in town and museum policies.

Francais

Mobilités

par Jean-Max Colard

De Matthieu Martin, on pourrait dire avec un brin d’ironie que c’est un artiste de rue. Mais tout comme une grande partie, ceci dit, de l’art du XXème siècle… Et dans la mesure, surtout, où ce jeune artiste trouve dans l’espace public la matière et les problématiques de son travail. Telle cette énorme pierre mais montée sur trois roulettes (Povera Mobility, 2009) : utilisée par certaines municipalités pour empêcher le stationnement des voitures, la roche est ici rendue mobile : le détournement critique d’un usage polissé de la ville aboutit à une pièce qui n’est pas sans poésie.

Pour preuve encore, les deux œuvres présentées par Matthieu Martin au Salon de Montrouge ont affaire aux tags urbains. Il y a d’abord ce film, tourné de nuit, “à l’arrache”, autour d’un geste : l’artiste a demandé à une restauratrice de peinture ancienne de procéder au “dégagement” (c’est le terme technique consacré) d’un graffiti urbain effectué sur le rideau de fer d’un magasin. Ce vulgaire tag, sans qualité remarquable, semblable à ceux qui couvrent les murs d’écritures urbaines, avait été recouvert de peinture grise par le propriétaire du magasin — et le voilà qui “refait surface”, soudainement anobli par le geste de l’archéologue, ou plus exactement ici de la restauratrice de tableaux, qui est parvenue à gratter avec un dissolvant la couche de peinture recouvrante et à refaire émerger le graff’. Contre l’autorité, contre le recouvrement d’une culture urbaine incivile: éloge du vandalisme.

Loin de s’enfermer dans cette défense du graff’, Matthieu Martin présente sur ce thème une deuxième œuvre beaucoup plus ambivalente : c’est une série de magazines consacré aux graffs, dont l’artiste a justement « recouvert » les doubles illustrations intérieures de grands aplats gris de peinture, exactement à la manière dont les autorités, les services municipaux et autres ont l’habitude d’effacer les tags urbains. Pour ce faire, il a utilisé la bombe aérosol des graffeurs et puisé sa gamme de gris dans le nuancier des bombes de peintures. Surtout, cette intervention monochrome constitue une pause visuelle dans le débordement multicolore et expressif des graffitis urbains. Pour avoir pratiqué le graff dans son adolescence, Matthieu Martin y revient ici de manière plus conceptuelle, dans la foulée d’un Raphaël Zarka ou d’un Cyprien Gaillard. Il est aussi question ici de s’amuser avec les codes du graff : cet univers sérieux, dur, revendicateur, fait chez lui l’objet de reprises ludiques, de recouvrements fictifs, ou à l’inverse de restaurations sauvages. Et c’est ce jeu plastique qu’il faut surtout retenir.
Dans cet état d’esprit, mais sur un tout autre thème cette fois et qui nous ramène à l’intérieur des lieux d’art, Matthieu Martin a parfois apposé au sol d’un espace d’exposition une simple ligne de scotch, semblable à celle qu’on trouve dans les musées pour tenir le public à distance de certaines œuvres fragiles ou précieuses. Sauf qu’ici la ligne ne protège aucune pièce mais occupe un espace vide du centre d’art, mettant à nu le principe de précaution : « Il n’empêche que la ligne fonctionne très bien, et le public y fait attention, certains spectateurs retiennent même du bras celui qui voudrait passer la ligne, témoigne l’artiste. C’est dire à quel point nos mentalités obéissent à ces signes disciplinaires ». D’où la nécessité de jouer avec ce qui nous conditionne. Pour une politique ironique de la ville ou du musée.